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A moy que chault!

La chute

8 Juin 2016, 15:22pm

Publié par amoyquechault.over-blog.com

Elle voulait toujours aller voir la mer. Quelle vulgaire et ennuyeuse monomanie ! Lui n’avait envie de rien, ce qui n’était guère plus original. Ils formaient un couple qui « battait de l’aile », c’est-à-dire qui s’ennuyait, ou plus exactement dont chacun des deux membres pensait qu’il s’ennuyait davantage que s’il avait été tout seul ou avec un autre conjoint. Le dosage d’ennui leur semblait dorénavant excessif. Car on s’ennuie toujours. Mais aujourd’hui, c’était l’autre qui devenait la cause de cet ennui qui, de ce fait, paraissait de moins en moins supportable. Me faire chier d’accord, que tu me fasses chier, c’est une autre histoire… La présence de l’autre devenait lentement pesante, pénible, poisseuse et irritante comme un vieux sparadrap à la colle noircie qui refuse de complètement se détacher … L’affection et la tendresse ayant disparu, on glissait tranquillement vers l’exaspération, inexorablement vers la haine… Encore une fois. L’effrayante banalité de la situation renforçait encore l’étouffant sentiment d’ennui, d’écrasement. Pour un peu, on aurait préféré un drame, un vrai, plutôt que ce lent et si commun délitement. On mangeait désormais invariablement en silence, le téléviseur constamment allumé. L’amplitude des horaires de bureau gonflait étrangement, à croire que l’on était revenu sur les 35 heures. Les réunions tardives se multipliaient, on s’attardait partout où on le pouvait, chez le boulanger, chez la concierge, sur le trottoir à contempler les pigeons obèses et dégueulasses titubants sous le poids de leurs émétiques déjections prêtes à jaillir… On prenait même des rendez-vous médicaux absurdes et inutiles, juste pour fuir, pour ne pas être là. Une fois par semaine, l’un ou l’autre décidait de partir mais ne partait pas. Partir demandait trop de volonté, trop d’énergie. Chercher un nouveau logement, partager les biens, changer les habitudes, expliquer à la famille et aux amis… Trop de fatigue, trop d’ennui encore… Se laisser couler en accusant l’autre d’être responsable de la noyade était beaucoup plus confortable, presque apaisant.