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A moy que chault!

Je suis Charlot

26 Avril 2015, 13:46pm

Publié par amoyquechault.over-blog.com

Comme pétrifiée devant son écran, Anne-Sophie, bouche entrouverte et regard halluciné, contemplait le petit écran sur lequel défilaient sans relâche les dernières images du massacre. Le ballet des voitures de police, toutes sirènes hurlantes, alternait avec les mines graves des journalistes commentant l'événement tragique qui frappait la France en plein cœur. Des morts à la télévision, elle en avait certes déjà vu, beaucoup même, des corps calcinés des enfants de Gaza aux soldats kurdes égorgés, mais c'était loin tout ça, au fin fond de pays qui puent la misère et la babouche sale et dans lesquels on aurait même pas idée d'aller en vacances, village Club Med ou pas. Ces cadavres là, ces nouveaux morts, étaient presque ses voisins, elle reconnaissait les rues, les magasins, les immeubles... Pour un peu elle aurait pu sentir par sa fenêtre l'odeur âcre de la poudre et du sang. C'était chez elle, désormais, qu'on se mettait à assassiner sauvagement ! Pas encore dans son cher 7ème arrondissement mais presque ! La folie meurtrière, elle non plus, n'avait désormais plus de frontières. Bien sûr, pour le moment encore, les fous d'Allah s'attaquaient à des gens un peu bizarres, des caricaturistes vulgaires et qu'on imaginait crasseux et des membres de la communauté israélite, mais un jour, c'était maintenant certain, ils s'en prendrait à des gens normaux, des bons français comme vous et moi ! Anne-Sophie tremblait. De ses doigts crispéts, elle saisit sur la table basse le dernier numéro de la revue « Causerie » qui dénonçait courageusement la terreur antisémite régnant actuellement en France, drame dont elle se sentait soudainement extrêmement proche et solidaire. Dans un geste éperdu, elle tendît le magazine en direction du téléviseur comme pour se protéger des balles qui menaçaient de surgir de l'écran plat 16/9e. Elle était si profondément bouleversée qu'elle n'entendit pas son mari entrer dans la pièce. Son pas la fit sursauter et elle se jeta à son cou en sanglotant.

« Mais comment peut-on être aussi barbares ? » murmurait-elle entre deux reniflements poisseux. Armand, ancien médecin militaire reconverti dans la chirurgie esthétique, plus habitué aux monstruosités diverses, semblait sensiblement moins horrifié que son épouse qu'il tenta de calmer en lui caressant doucement les cheveux. Dans un état quasi second, Anne-Sophie entraîna alors son mari dans la chambre. Après avoir refermé la porte d'un coup de pied, elle releva d'une main sa longue jupe plissée et posa l'autre contre le mur, se cambrant autant que sa sciatique récurrente le lui permettait. Agitant frénétiquement sa chevelure jusqu'à se débarrasser de son serre-tête, elle se mit ensuite à hurler « Prends-moi comme un salafiste ! ». Peu habitué à ce genre de démonstration mais émoustillé par la perspective, Edouard déboutonna son pantalon, branla un peu son sexe fatigué par trop de cocktails mondains et se mit consciencieusement à l'ouvrage. Après quelques minutes de pilonnage intensif, rythmé par les encouragements d'Anne-Sophie - « Je suis une salope ! Je suis Charlie la salope ! Vas-y fort ! Punis-moi ! », les deux époux atteignirent simultanément l'extase et s'effondrèrent sur le lit voisin, haletants et épuisés par ce premier acte de résistance à l'obscurantisme mahométan.

Rhabillés et à nouveau presque calmes, ils décidèrent de rejoindre l'un des « rassemblements solidaires » qui déjà s'organisaient dans les rues de Paris. Ils prirent à peine le temps de modifier leurs avatars facebook respectifs en « Je suis Charlie » - c'était bien là la moindre de choses – et se retrouvèrent au milieu de la foule compatissante qui envahissait les rues malgré la grisaille et le léger crachin.

Au cœur de cette masse, Anne-Sophie était rassérénée, presque heureuse. Elle devait d'ailleurs admettre que, depuis la fin des Manifs pour tous, ce genre de grandes inutilités collectives lui manquaient un peu. Entourée de jeunes gens portant des chapeaux en formes de crayons ou des nez de clown, elle sentait, comme elle l'avait entendu à la télévision, que « le rire serait toujours plus fort que les balles » et que toute cette joyeuse niaiserie, cet infantilisme ludique, constituait une infranchissable barricade. Le cortège se répandait sur les boulevards, hâtivement rejoint par des hommes politiques de tous bords, à l'exception bien sûr des salopards du Front National qui, à force de prévoir et de prédire les drames de l'immigration les avaient sans doute en partie suscités. On annonçait aussi pour bientôt la venue de chefs d'états et de gouvernements étrangers, tous les plus beaux fleurons de la démocratie et de la défense des droits de l'homme, du doux Netanyahou au tendre Abdallah II... C'est le monde entier qui serait bientôt Charlie !

Les rangs de la manifestation se faisaient plus compactes, on entonnait la marseillaise et on applaudissait avec fougue les représentants des forces de l'ordre... Anne-Sophie était dorénavant tellement excitée et galvanisée par cette marée humaine qu'il n'aurait pas fallu la pousser beaucoup pour qu'elle aille caillasser la devanture d'un kebab ou renverser l'étal de l'épicier du coin. Mais ça n'aurait pas été un spectacle très adéquat pour sa progéniture, Apolline et Edouard, qui l'avaient rejointe et agitaient si joyeusement leurs petits drapeaux tricolores. Rien ne devait venir gâcher la fête de la gentillesse et de l'amour républicain. Seul bémol, à quelques mètres d'eux, une gamine blonde d'une dizaine d'année, sans doute mal préparée à l'événement par ses parents, avait confondu, face caméra, les arabes et les terroristes. Ce n'était pas bien grave, on couperait au montage.

Le soleil avait maintenant fait son apparition et déversait généreusement ses rayons sur la foule citoyenne émue par elle-même. Cette éclaircie était attendue, inévitable, car sur l'île aux enfants, c'est tous les jours le printemps.

Xavier Eman

(In revue Eléments, numéro 154)