Jérôme
Lorsque j’étais à l’école primaire à Amiens, nous étions toujours deux à batailler pour la première place de la classe… Moi le fils de bourgeois de droite, et lui le fils de prolos communistes… Nous nous entendions très bien, à l’exception des jours de remise des bulletins ou, invariablement, je le coiffais au poteau de quelques dixièmes de point… chose que je trouvais sans importance mais qui le plongeait dans de grands accès de rage suivis de profondes afflictions…
Je me souviens qu’il se levait tous les matins une heure en avance sur l’horaire nécessaire pour lire rigoureusement, page à page, le dictionnaire Larousse tandis que, pour ma part, je restais sous la couette le plus tardivement possible, déjà fatigué, ennuyé…
Je l’ai revu il y a quelques années, il travaillait dans la fusion-acquisition pour une banque internationale. Il avait une jolie une femme et deux beaux enfants. Il avait réussi sa vie quand j’avais très largement raté la mienne. Il faisait la fierté de ses parents quand je faisais leur désespoir. Nous ne nous comprenions plus et n’avions plus grand-chose à nous dire. Il considérait mes engagements politiques et mon anti-libéralisme viscéral comme une posture d’ex-gamin trop nourri, je voyais son parcours comme un reniement et une revanche sociale que je pouvais comprendre mais que j’espérais que l’on puisse dépasser. Nous nous estimions encore mais faisions partie de deux mondes beaucoup plus éloignés que ceux de notre enfance.