Family Business
Dès qu'elle avait mis un pied dans l'appartement familial en rentrant du lycée, Mélanie avait senti une atmosphère particulière, plus lourde qu'à l'accoutumée, presque pesante. Même la moustache de l'aïeul, dans son cadre aux moulures dorées, semblait plus sombre et menaçante que d'ordinaire. Peut-être était-ce l'absence du perpétuel fond musical (Monteverdi, Schubert ou Michel Sardou) ou bien l'odeur inhabituelle du cigare paternel, ce dernier rentrant généralement beaucoup plus tard du bureau. Quoi qu'il en soit, indiscutablement, quelque chose se tramait...
La sombre impression fût rapidement confirmée par la présence de ses parents dans le canapé du salon, assis côte à côte, immobiles et silencieux, et qui, sans qu'il y ait le moindre doute, l'attendaient.
« Soit ils ont trouvé mon shit sous le matelas, soit ils vont m'annoncer qu'ils divorcent... » pensa Mélanie en s'asseyant, légèrement nerveuse, dans le fauteuil club en face de ses géniteurs.
Comme toujours, ce fût sa mère qui prît la parole :
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« Ma chérie, ton père et moi avons à te parler de quelque chose d'important.... »
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« Pourvu que ce soit le divorce ! » murmura Mélanie entre ses dents serrées maladroitement masquées derrière un sourire forcé.
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« Voilà, comme tu le sais sans doute, la situation est grave, la dernière représentante d'une droite modérée, humaine, et économiquement réaliste a subit un lourd revers lors de la dernière élection... »
Rassurée qu'il ne soit pas question de ses consommations hallucinogènes illicites, Mélanie s'affaissa un peu dans le fauteuil et posa sa joue dans le creux de sa main pour écouter la suite du discours maternel.
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« Alors voilà, nous avons décidé que la famille devait participer au recouvrement des frais de campagne de notre malheureuse candidate, et donc nous allons utiliser l'argent de ton PEL pour lui faire un don conséquent... »
Se redressant brutalement comme sous l'effet d'une décharge électrique, Mélanie s'exclama :
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« Pardon ? C'est une blague ? »
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« Pas du tout mon cœur, au contraire, c'est très sérieux et très important... Tu aurais entendu son appel, c'était déchirant... »
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« D'accord, mais pourquoi ne pas utiliser vos économies à vous ?
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« Disons que nous manquons de liquidités en ce moment, ton père ayant, comment dire, excessivement investi dans la nouvelle crypto-monnaie guatémaltèque qui s'est finalement avérée moins performante que prévue... »
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« Et donc vous voulez me piquer mon pognon... »
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« Non, nous voulons utiliser l'argent que nous avions mis de côté à ton nom pour soutenir une femme fière et courageuse qui a porté haut l'étendard de nos valeurs... »
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-« Nos valeurs ? »
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« Celles de la droite républicaine, libérale et sociale ! »
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« Ca ne veut rigoureusement rien dire... «
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« Ha, ne commence pas à faire du mauvais esprit... De toute façon, tu es mineure, tu n'as pas ton mot à dire et tu devrais même être heureuse d'apporter ton écot au grand élan de solidarité pour sauver de la ruine la digne héritière du Général ! »
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« Quel général ? »
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« De Gaulle voyons... Mais tu apprends quoi à Sainte-Thérèse du Chesnay ? »
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« Pas à me faire dépouiller par mes propres parents en tout cas... »
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« Ecoute, nous te demandons juste de faire un petit effort pour une noble cause... »
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« Des efforts pour des « nobles causes » j'en fais... Je suis déjà obligée de partager ma chambre avec Bamboula, un sénégalais de 15 ans qui a l'air d'en avoir 40... »
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« Maboula ! Il s'appelle Maboula ! Et il n'est pas sénégalais mais malien ! Et je ne te permets pas de mettre en doute sa parole quant à son état civil... Ce sont les souffrances et les malheurs qui l'ont fait mûrir précocement ! Et c'est notre devoir, à nous privilégiés, de tenter de lui faire oublier ces difficultés et de lui donner une seconde chance !»
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« Et le fait qu'il essaye de m'enculer un soir sur deux, ça fait partie du package « humanitaire » ? »
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« Mélanie, surveille ton langage ! De toute façon c'est totalement impossible, Maboula est homosexuel. C'est d'ailleurs pour cela qu'il a dû quitter son pays où il était persécuté en raison de cette orientation... »
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« Ha ok, ben ça explique son goût pour la sodomie alors... »
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« Maintenant ça suffit ! Je dois te dire que ton étroitesse d'esprit et ton égoïsme me déçoivent beaucoup ! »
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« Oui, et bien, tu n'as rien vu encore, parce que si ça continue comme ça, moi je vais finir par passer à l'extrême-droite... »
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« Tu n'envisages tout de même pas de rejoindre Nicolas Dupont-Aignan?! »
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« Pire... »
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« Pire...Quand même pas.... »
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« Si, si... l'autre blonde ! »
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« Ha non, ne dis pas des horreurs pareilles ! Comment oses-tu ? Et face au portrait du grand résistant que fût bon-papa ! »
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« Papy, résistant ? Il n'était pas magistrat sous Pétain ? »
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« Si.. un peu... mais il a surtout ensuite fait fusiller plein de collabos ! Mais ne change pas de sujet de conversation... Tu es odieuse ce soir, va dans ta chambre ? »
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« Fumer un joint avec Bamboula ? D'accord. »
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« Maboula ! Son nom est Maboula !»
Mélanie quitta la pièce en faisant violemment claquer la porte, sa mère s'effondra dans le canapé. C'est alors qu'elle se souvint de la présence de son mari dont elle chercha fébrilement le regard afin d'y trouver un peu de soutien et de réconfort. Las, le patriarche était plongé depuis de longues minutes déjà dans une frénétique partie de Candy crush sur son Iphone 28.