Souvenirs
Enfant et jeune adolescent, j'allais souvent en vacances dans le sud de la France, au « petit mas », chez des amis de mes grands-parents qui étaient - je l'ignorais alors – des « rapatriés d'Algérie ». Pour moi, ce furent des séjours idylliques, entre soleil et citronnades, passés avec des « plus grands », que je considérais comme des cousins qu'ils n'étaient pas mais qui essayaient – généralement avec le même insuccès – de m'initier au bricolage, à l'équitation, à la boxe ou à l'audacieuse navigation sur la roubine qui bornait la propriété. Il y avait aussi Cécile, la « cousine » aux robes à fleurs incroyablement courtes, qui me demandait de lui expliquer les films en VO que nous allions voir au cinéma du coin parce que « les sous-titres passent trop vite ». Elle riait beaucoup, Cécile, sans que l'on comprenne toujours pourquoi, mais c'était bien agréable.
L'un des garages du « petit mas » était rempli de matériel de collage pour le FN et j'avais le droit, avant de repartir, de récupérer quelques affiches qui rejoignaient bientôt celles de Michael Jordan et de Bob Marley dans ma chambre tourangelle, plongeant dans une grande confusion les camarades venant y jouer à « Tennis » sur CPC 6128.
Bien plus tard, je suis retourné au « petit mas » et j'ai voulu, un soir, parler au patriarche de cette « Algérie » dont le nom avait virevolté sur tant de repas et de soirées. Posant sa main sur la mienne, il m'avait alors dit « Gamin, c'est quelque chose que tu ne peux pas comprendre. Et c'est tant mieux. C'est le passé, c'est fini. ». Puis j'avais vu ses yeux se charger de larmes. Je n'avais jamais vu un homme de près de 80 ans pleurer. J'en ai ressenti sur le moment une telle douleur que c'est un sujet que moi-même, qui lui suis pourtant étranger, je ne peux aborder avec indifférence, désinvolture ou cynisme.