Le triomphe posthume de De Gaulle
L'histoire est imprévisible et réserve d'étonnantes surprises. Ainsi, qui aurait pu penser que celui qui fût l'un des plus grands diviseurs des français deviendrait, un demi siècle après sa mort, le personnage le plus consensuel et le plus oecuménique du paysage politique national ?
En effet, aujourd'hui, d'un bout à l'autre de l'échiquier partisan, tout le monde se réclame de la « figure » du Général, véritable totem au pied duquel, désormais, tout candidat à une quelconque élection se doit de se prosterner. Au fil du temps, De Gaulle est devenu une icône républicaine, l'incarnation de l'Homme d'état avec un grand H, l'exemple indépassable, la statue du commandeur de tous les croyants en la démocratie, le « nec plus ultra » de l'expérience politique, le père tutélaire auquel tout les politiciens se réfèrent, dont tout monde revendique l'héritage.
Comme le notait récemment le journaliste britannique John Lichfield dans Politico, il est devenu « la divinité polycéphale qui préside aux destinées de la politique française » car il est censé représenter, entre autres, « la grandeur prédestinée de la France, la résistance à l’invasion étrangère, la reconnaissance de la volonté du peuple, la conscience sociale, un gouvernement central fort, des valeurs conservatrices sans ambiguïté... ». C'est pourquoi le 9 novembre donne lieu à un véritable « pèlerinage de masse » de prétendants à la présidentielle qui se rendent à Colombey-les-Deux-Églises pour rendre hommage à l'idole. De Zemmour à Montebourg en passant par Bertrand et Barnier, tout le monde s'y colle ! Même Marine Le Pen se croit obligée de participer au culte en affirmant « Nous avons la même vision de la France que de Gaulle : souveraine, indépendante, puissante », tandis que la socialiste Anne Hidalgo se définit comme « une gaulliste du 18 juin » et que le LR Christian Jacob déclare « Nous sommes la famille politique du général de Gaulle. Notre responsabilité est de rétablir la grandeur de la France ».
« La course à l'échalote gaulliste ne pourrait être que ridicule si elle n'était pas basée sur la falsification mémorielle et l'amnésie historique. Oublié l'officier toujours battu, oublié le fusilleur de Brasillach, oublié le bradeur de l'Algérie française, oublié le sacrificateur des harkis, oublié le fuyard de Baden-Baden... Bénéficiant de la médiocrité et de la petitesse de ses successeurs, De Gaulle s'est progressivement imposé dans l'imaginaire collectif comme une figure mythifiée pourtant très éloignée de la réalité des faits.
Chaque époque a les modèles qu'elle mérite, la notre a décidé de vénérer la statue creuse du Général. On nous permettra de ne pas participer à cette grande tartufferie. »
Xavier Eman in Journal Présent