Jusqu’ici, tout va bien…
Pour son deuxième roman (après l’excellent et très original « Poids-lourd »), Paul Fortune nous emmènent sur les pas de Michael, un « petit blanc » de banlieue qui supporte de plus en plus difficilement son existence étriquée, bornée par le périphérique, le pavillon familiale et l’entrepôt où il confectionne des colis pour une grosse boite de vente en ligne. Beaucoup de béton, peu d’argent, peu de perspectives d’avenir, et le sentiment d’être un citoyen de seconde zone dans son propre pays. Un profil qui n’intéresse pas les médias, ni les sociologues, ni les « associations », ni les cinéastes engagés, ni les filles... Qui n’intéresse personne en fait. « Trop seul, trop pâle. Trop seul pour qu’on te craigne, trop pâle pour qu’on te plaigne » comme le chantait le groupe de rock identitaire français « Vae Victis ».
Si Michael a le sentiment d’étouffer, c’est aussi parce que le spectacle de ce qu’est devenue la France le blesse et l’accable. L’omniprésence des immigrés, l’islamisation du quotidien, la peur qui rôde, les petites humiliations infligées par des racailles arrogantes… Son pays lui fait mal et c’est pourquoi il s’est engagé à « l’extrême-droite », dans un groupuscule nationaliste où il milite avec toute l’énergie du désespoir. Beaucoup de collages, beaucoup de discours, beaucoup de posture, beaucoup de bière et quelques bagarres, mais bien peu de résultats… Même cet engagement lui apparaît bientôt comme une impasse, une sorte de « jeu » sans prise sur le réel, une pantomime qui le renvoie à son impuissance face au délitement de la nation. C’est dans la boxe – pratiquée dans un club de cité où il est l’un des seuls autochtones – qu’il trouve alors un exutoire et découvre la puissance libératrice et expiatoire de la violence et de la souffrance physique. Après un nouvel échec, celui d’une amourette condamnée d’avance par les différences sociales, Michael commence à penser qu’il n’y aura jamais rien pour lui, ni aujourd’hui, ni demain. La seule issue qu’il envisage alors est de provoquer un déclic, de forcer le destin par un événement extrême suscitant une rupture, un sursaut… Pour qu’enfin il se passe quelque chose… « La peur, la résignation, la rage silencieuse, tout cela éclaterait d’un coup en une immense déflagration qui ferait régner la terreur chez les autres. »
Dans un style efficace et sans fioritures, presque clinique, Paul Fortune nous narre donc, sans hagiographie mais sans jugement moral, la « dérive » de ce jeune français ordinaire abandonné par un pays qui n’a plus le souci de ses propres enfants. Un récit implacable et passablement glaçant qui ne manquera pas de trouver un écho chez nombre de militants confrontés eux-aussi à des moments de désespérance qu’il faut à toutes forces dépasser pour que les choses ne finissent pas aussi mal que dans les pages du roman.
Xavier Eman
« Dérive », de Paul Fortune, 242 pages.
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