Les guerriers et les esthètes
Né en 1907 dans une famille modeste, Maurice Bardèche obtient, après son certificat d'études, une bourse lui permettant de poursuivre de brillantes études, en hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand tout d’abord, puis à l’Ecole Normale Supérieure. C’est dans cette illustre institution qu’il se noue d’amitié avec Robert Brasillach, dont il deviendra le beau-frère et dont la condamnation à mort puis l’exécution en 1945 le marquera très profondément. Une fois agrégé de Lettres, il enseigne à la Sorbonne et devient un critique reconnu, notamment de l’œuvre de Balzac. Durant la guerre, il se concentre essentiellement sur l’enseignement et ses travaux littéraires. Mais la mort de Brasillach, véritable déchirement, va « forcer » un engagement politique qui n’est pas dans sa nature. Il va alors se consacrer à la défense des « vaincus », au révisionnisme historique et à l’illustration de sa vision du « fascisme ».
C’est durant cette seconde partie de sa vie qu’il écrit - en 1969 - « Sparte et les Sudistes », œuvre à mi-chemin entre le traité philosophique et l’écrit de combat, dans laquelle il présente sa vision du monde, un monde qui parviendrait à faire la jonction et l’amalgame harmonieux entre les valeurs viriles et guerrières de « Sparte » et la sagesse, la bienveillance et l’art de vivre des « Sudistes ».
La première partie du livre est une critique aussi acerbe que radicale de « l’homme dévoyé » qu’est devenu pour Bardèche l’homme moderne. Un homme « diminué », abaissé par le mythe de l’égalitarisme et totalement dominé par le matérialisme et la logique économique. Dans la seconde partie, il oppose à cet être décadent la figure de « l’homme naturel », celui qui, justement, arrive à faire cohabiter en lui-même les qualités de « Sparte » et des « Sudistes », le vitalisme et la virilité altière venant compléter le bonheur de vivre, la politesse et la générosité. Pour atteindre ce stade, pas d’autre chemin pour lui qu’une « troisième voie » entre la démocratie « libérale » et le marxisme qui sont deux matérialismes fonctionnalistes sans beauté ni élévation. Cette troisième voie est, selon Bardèche, celle du « fascisme » dont il dissocie « l’essence » de ses incarnations historiques, et notamment de ses versions italienne et germanique («Je crois à l’inégalité parmi les hommes, à la malfaisance de certaines formes de la liberté, à l’hypocrisie de la fraternité. Je crois à la force et à la générosité. Je crois à d’autres hiérarchies que celle de l’argent. Je crois le monde pourri par ses idéologies. Je crois que gouverner c’est préserver notre indépendance, puis nous laisser vivre à notre gré.»).
On peut au final considérer cet ouvrage comme un cri de révolte contre l’éradication d’une « certaine manière d’être », d’une certaine « conception de la vie ». Face à ce péril, l’Europe n’a pas besoin de « la résurrection d’une doctrine, ni d’une certaine forme d’Etat, encore moins d’un caporalisme et d’une police, mais du retour à une certaine définition de l’homme et à une certaine hiérarchie ». Dans cette définition de l’homme, Bardèche intègre « le sentiment de l’honneur, le courage, l’énergie, la loyauté, le respect de la parole donnée, le civisme ». Et la hiérarchie qu’il appelle de ses voeux est celle « qui place ces qualités au-dessus de tous les avantages donnés par la naissance, la fortune, les alliances, et qui choisit l’élite en considération de ces seules quotités ». Une aspiration encore aujourd’hui de la plus grande acuité.
Xavier Eman, in « La bibliothèque du jeune européen, 200 essais pour apprendre à penser », Edtions du Rocher.