Des bras pour porter des idées
En une vingtaine d'années, la droite radicale a totalement perdu la rue, quand elle ne l'a pas simplement abandonnée. S'il existe sans doute quelques contre-exemples ponctuels et locaux, le constat est sans appel et il suffit, pour finir de s'en convaincre, de comparer la capacité de mobilisation, d'influence et d'instrumentalisation de l'extrême-gauche lors les derniers mouvements sociaux et protestataire avec les rares récentes tentatives d'action publique, type manifestation, de la mouvance nationaliste et identitaire. « Il n'y a pas photo » pourrait-on dire.
La rue délaissée, les efforts militants se sont redéployés sur divers axes : le tout-médiatique, pour la frange électoraliste, la métapolitique pour d'autres et les diverses formes de réseaux sociaux pour beaucoup d'individus esseulés ou revenus de toutes les appartenances partisanes. Si chacune de ces voies a pu produire des « gains » et même obtenir certains succès, aucune n'a pu atteindre son but final, que ce soit la « prise de pouvoir », « l'entrisme médiatique » ou la « conquête des esprits ». Ainsi, on se retrouve aujourd'hui avec un parti « national » qui pèse dans les urnes mais est totalement exsangue idéologiquement et vidé de toute force militante, une sphère « intellectuelle » relativement active et foisonnante mais qui semble fonctionner en vase-clos et peine à offrir des perspectives concrètes à son auditoire, deux ou trois chroniqueurs télévisés « réacs » divinisés mais toujours aussi perdus et isolés dans la matrice journalistique libérale-libertaire dont ils ne sont que la caution, et des youtubeurs plus ou moins histrionnesques qui gèrent chacun leur petite épicerie pour le plus grand plaisir d'une masse croissante de cyber-consommateurs/commentateurs. Par ailleurs, nourri par le mépris réciproque des uns et des autres, le divorce entre les « grosses têtes » et les « gros bras » semble consommé, les premiers s'enfermant dans leurs salles de conférences tandis qu'une partie des seconds s'enfonce dans l'activisme stérile d'une violence provocatrice et nihiliste ou dans des démarches purement individualistes. Bref, à l'heure où les périls s'accumulent et s'accroissent, où la répression et le contrôle se renforcent, où les ennemis s'aguerrissent et s'organisent, et où le système accélère sa prise de contrôle de toutes les dimensions de l'existence, la situation n'est pas très brillante...
En fait, on peut penser qu'il est arrivé au milieu nationaliste/identitaire la même chose que, plus généralement, à l'ensemble de la modernité technicienne : un excès de « spécialisation ». Chacun en effet s'est peu à peu tourné vers un seul « rôle », une seule « fonction », et ne s'est plus consacré qu'à celui-ci, sur le plan du fond ou de la forme, en se coupant des autres dimensions d'une action politique « complète », « globale ». Les « cogneurs » cognent, les « intellos » débattent, les « pragmatiques » se présentent aux élections sous des couleurs délavées qui ne sont pas les leurs et chacun ignore l'autre, quand il ne le dédaigne ou ne le déteste pas, et tout le monde avance (ou recule) d'un pas lent et boiteux car privé d'un élément ou un autre nécessaire à la prise sur le réel, à l'efficacité politique. Un corps sans tête, une tête sans corps, des bras sans idées, des idées sans bras, pour les porter, pour les défendre, jusque dans la rue, cette fameuse rue désertée et pourtant vitale. On a en effet souvent répété que le temps n'était plus aux « partis de masse », ce n'est pourtant que partiellement vrai car si nous sommes en effet bien à l'heure du réseautage, des médias sociaux, des « influenceurs », du tout écran et du tout virtuel, on voit également bien comment les mobilisations « physiques », les mouvements de rue, parviennent encore à influer sur l'opinion publique, à peser sur le débat public, voire à intimider le pouvoir. On peut le constater que ce soit au travers des succès de l'activisme LGBT, « Blacks Lives Matters » ou encore des actions médiatiques des associations de soutien aux migrants clandestins... Si nous ne sommes plus au temps des « masses », nous sommes encore à celui des foules encadrées et cornaquées par des militants professionnels.
Il paraît donc urgent de rompre avec l'atomisation et l'autisme qui prévalent trop souvent dans « nos milieux », de dépasser les divers « snobismes » et les inclinations personnelles, pour mettre en place des structures transversales et englobantes, impliquant tous les « types » de militants au service d'un objectif commun, comme cela a pu être être brièvement le cas au sein du Front National avant la scission. S'il n'est pas envisageable aujourd'hui que cette mise en commun des talents et des tempéraments se fasse sous l'égide d'un parti unique, on peut l'imaginer sous la forme de campagnes coordonnées, d'actions ponctuelles, de partage de compétences et de moyens entre groupes autonomes. Pour ce faire, il est indispensable que les gens se connaissent, se rencontrent, discutent, se fréquentent, se côtoient, sans souci des écarts générationnels, des différences sociales... Belles listes de vœux pieux, me dira-t-on. Pourtant des initiatives existent déjà en ce sens, il suffit de les encourager, de les soutenir, de les améliorer, d'en dépoussiérer certaines, d'en créer de nouvelles, de sortir d'une concurrence de chapelles pour passer à une fédération de chapelles, chacun conservant ses spécificités et son indépendance.... « L'unité » totale n'est pas à l'ordre du jour, trop de gens se sont déjà cassés les dents sur cette utopie qui nécessite sans doute des circonstances (encore plus) exceptionnelles et une ou des personnalités hors du commun, mais la mutualisation des forces sur des projets précis et concrets est autant possible que nécessaire. Une grande coopérative nationaliste et identitaire, où chacun trouvera son rôle et place, voilà mon souhait en cette période propice aux bonnes intentions qui ne restent pas toujours lettres mortes.
« Nos idées sont dans toutes les têtes »?! Peut-être... mais elles manquent tragiquement d'incarnation, de chair... Il leur faut, pour s'épanouir, de la vie et du tumulte, des cris sous les fenêtres et des étendards dans les rues ! C'est en les séduisant, les surprenant, les bousculant, les choquant même parfois, que nous sortirons nos compatriotes de leur torpeur mortifère. Pour cela nous avons autant besoin d'hoplites que de centurions, de penseurs et de poètes. La jeunesse, la fougue, parfois la violence, au service de l'intérêt commun et de la voie tracée par l'analyse et la réflexion.