Ode au pays
Mon pays, il était tout petit. Autant que je me souvienne, il ressemblait à une lourde maison de pierres grises, couverte de lierre, jouxtée d'un petit jardin où ma tente d'indien était bercée par un massif de roses et les branches épuisées du saule pleureur du voisin. Mon pays avait alors deux frontières, les bras doux et chauds de ma mère et le visage un peu sévère de mon père.
Puis mon pays s'est agrandit, il embrassait une grande cour de bitume et une salle de classe tapissée de dessins colorés. Il avait le visage d'une petite fille avec de longues tresses blondes, qui n'aimait pas qu'on la pince, et d'un instituteur barbu, qui n'aimait pas qu'on dépasse les lignes du cahier.
Ensuite mon pays s'est élargi encore, il a pris la forme de livres, d'idées, de films, d'histoires, de récits, de leçons et d'images.... Mon pays est sorti de la bouche d'un professeur de français évoquant Stendhal presque les larmes aux yeux, du geste d'un garçon de café me servant mon premier verre de vin, de la main d'une quasi-inconnue glissée dans la mienne dans l'obscurité d'une salle de cinéma...
Alors mon pays est devenu bohème et turbulent, il ressemblât à des cafés, des concerts, des manifestations, des ivresses, des diatribes, des révolutions rêvées et des batailles perdues...
Enfin mon pays devint sombre et menacé, envahi, agressé, insulté, trompé et trahi de toutes parts. Mon pays, fatigué, tournait au cauchemar.
C'est alors qu'au cœur de ce pays j'en découvrais un nouveau, plus petit, plus improbable, mais porteur d'espérance. Ce pays s'appelait communauté, ses membres camarades. De mon ancien pays, il était le garant mais aussi l'avant-garde.
Ainsi mon pays est à la fois minuscule et immense, tragique et magnifique, fragile et orgueilleux, mon pays c'est la France.