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A moy que chault!

Chronique d'une fin du monde sans importance

29 Mars 2018, 10:21am

Publié par amoyquechault.over-blog.com

Restauration
 

Le cognac répandait ses reflets ambrés sur les parois polies du large verre en cristal. Pierre-Louis contemplait le goûteux liquide, plongeant son regard dans les quelques centilitres éthyliques comme pour tenter d’y noyer sa mauvaise humeur naissante. Les invités partis, son épouse et les enfants couchés, la bonne dans son RER en direction de Bobigny, le calme était revenu dans l’appartement mais pas dans l’esprit du maître des lieux. Son problème, c’était sa passion grandissante pour Emmanuel Macron. Une passion encore hésitante, parfois vacillante, vaguement honteuse mais  indéniablement de plus en plus omniprésente. Et cette appétence croissante pour le jeune président de la République lui avait fait passer une fort mauvaise soirée. Car il ne pouvait encore rien dire, rien reconnaître, rien avouer… Lui, le petits fils de camelot du Roi, l’ancien militant d’AF qui ne manquait pas de porter sa belle cravate fleurdelysée pour se rendre à chaque « dîner d’anciens », ne pouvait décemment pas évoquer son penchant, révéler son trouble… On le moquerait, on le jugerait…  Alors il se taisait. Et ruminait. Bien sûr, il lui arrivait de penser que d’autres, comme lui, nourrissaient en secret la même affection, une identique dilection,  mais il ne trouvait pas le courage d’être celui qui ferait le premier pas, qui déclencherait le grand « coming out ». Il se voyait donc contraint d’écouter sans réagir – voir même en acquiesçant – les critiques et sarcasmes que ses amis se plaisaient encore à répandre sur le nouveau phare de la Nation, « histrion tafiolesque » pour les plus virulents, «larbin du capital » pour la frange péguyste de l’assistance ou  « agitateur de vide post-politique » pour les autres  …

Pierre-Louis soupira longuement. Il vida son verre d’un trait et s’en resservit un autre. Pourtant, pensait-il, comment ne pas être séduit par un tel homme, un tel chef ? Un réformateur capable de faire passer des mesures anti-sociales de droite sans quasiment la moindre vaguelette de protestation syndicale ou populaire, un conservateur parvenant à sauver la bourgeoisie laborieuse et investisseuse de la précarité et de la misère qui la guettaient en réformant courageusement l’ISF, un mec  viril et couillu pouvant remettre à sa place le petit cégétiste aigri de merde - « Vas d’abord t’acheter un belle chemise, on discutera après ! » -, un commercial de haut-vol refourguant 11 milliards de contrats en un week-end ?  Même ses conneries pseudo-écologistes sur le climat, on les lui pardonnait, parce qu’on savait bien que ce n’était que du spectacle pour gogos,  du divertissement démago –médiatique pour occuper et amuser les foules…

Et que dire de son voyage en Afrique,  sa visite au Burkina Faso ? Remarquables, magnifiques, exceptionnels ! Un exemple, une claque ! Ha, il ne lui avait pas envoyé dire, à Roch Bamboula je-sais-pas-quoi: « C’est quand même davantage à toi qu’à moi de réparer la clim dans tes universités de merde ! »… La punchline de folie ! Finie la repentance, retour à l’arrogance ! L’esprit français ! Les Grosses Têtes à Ouagadougou !

Sans parler de l’Education Nationale… Le retour de la dictée ! Rien que ça ! Pierre-Louis en ressentit une demie-molle… Bientôt l’uniforme obligatoire pour Mamadou et Aïcha dans toutes les ZEP de France ! On siffle la fin de la récré, les hussards noirs ressortent leurs sabres méritocratiques et rutilants, on va voir ce qu’on va voir !

Soudain, agité d’un spasme irrépressible, il s’arracha de son fauteuil-club, se jeta sur la fenêtre qu’il ouvrit avec fracas et se mit à hurler à pleins poumons dans la pénombre du boulevard Wagram endormi : « Vive Macron Ier, vive le Roi ! ». Puis, les jambes flageolantes et le cerveau embrumé comme après l’orgasme, il tomba, épuisé, sur le parquet en dalles de Versailles, se recroquevilla sur lui-même et s’endormit, le pouce dans la bouche, rêvant d’une mère, à la fois coquine et protectrice, qui s’appellerait Brigitte.

Xavier Eman (paru dans la revue Eléments numéro 170 )