Chronique d'une fin du monde sans importance
Macronite
La chaleur était écrasante, l’air moite et pesant, étouffant même, saturé de toxines, de pollution. Visiblement, l’interdiction de circulation pour les véhicules des pauvres ne répondant pas aux dernières normes écologiques n’avait pas suffi à améliorer sensiblement la qualité du climat parisien. Enfin, c’était déjà un premier pas… Malgré l’ambiance caniculaire, Charles-Edmond se sentait bien. Appuyé à la rambarde de sa terrasse arborée, il dégustait, par petites gorgées gourmandes, un grand verre de rosé bien frais. Un rosé très pâle, à la fois sec et fruité, qui avait été distingué par la première place du dernier classement « Côtes de Provence » du Fig Mag. Il est quand même simple de ne pas se tromper…
Pour la première fois depuis bien longtemps, Charles Edmond était serein, presque totalement apaisé, confiant en un avenir enfin éclairci. Et ce nouvel et étonnant bien-être, il fallait bien le reconnaître, il le devait à l’annonce de la composition du gouvernement Macron. Un gouvernement équilibré, ouvert, technique, débarrassé des carcans idéologiques et des lourdeurs partisanes. Un gouvernement libéral assumé, affirmé, mais sans personnalités « clivantes ». Un aréopage lisse et séduisant ressemblant étrangement à un conseil d’administration de multinationale. Bref, un petit rêve enfin réalisé.
En récitant silencieusement les noms des divers ministres et secrétaires d’Etat, Charles-Edmond plissait légèrement les yeux de plaisir satisfait.
Bien sûr, il s’était tout d’abord enthousiasmé pour François Fillon, le candidat naturel de sa caste, un homme de droite bien comme il faut, sobre et discret, si soucieux de la famille qu’il s’était échiné à trouver des emplois confortablement rémunérateurs à l’ensemble de sa progéniture. Et puis un homme qui s’habille chez Cyrillus ne peut pas être totalement mauvais !
Mais face à l’acharnement médiatique contre le brave Fillon et son discrédit grandissant auprès des crétins d’électeurs, il avait bien fallu changer son fusil d’épaule… On n’allait quand même pas prendre le risque de se retrouver du côté des vaincus, des losers ! Il s’était donc rallié à la candidature du sémillant gérontophile, d’abord essentiellement « par défaut » puis gagné par un réel engouement, comprenant petit à petit qu’Emmanuel Macon était LE candidat qu’attendaient les siens depuis si longtemps ! Un candidat exclusivement préoccupé d’économie – seule raison de vivre, quoi qu’on en dise, des nations et des hommes-, s’entourant de « compétences » sans se soucier des étiquettes politiques de celles-ci, bien décidé à gérer la France avec la froide efficacité du chef d’entreprise. Aboutissement de cette logique, la composition du gouvernement constituait une sorte d’extase, presque une jouissance. Le directeur de l’Essec - objectif programmé de ses deux fils de 7 et 9 ans- à la tête de l’Education Nationale ! Même dans ses songes les plus ambitieux et les plus aventureux, il n’aurait pas osé envisager une telle configuration ! En plus, l’homme avait eu le bon goût de saupoudrer ses discours de formateur de cadres commerciaux par quelques postillons « réacs », à propos du latin et du grec et de l’utilité du redoublement notamment, qui étaient même parvenus à réjouir bonne-maman, la momie « droito-gaulliste » de la famille ! Charles-Edmond, lui, était persuadé que la Princesse de Clèves allait prendre bien profond dans le cul – ce n’était d’ailleurs que justice et il était grand temps que de pareilles inutilités soient véritablement remises à leur place-, mais il appréciait l’habileté tactique, stratégique, sémantique… Un génie ! Un génie au service d’un autre génie. D’un type qui avait « résisté à la poignée de main de Donald Trump », rien de moins ! Les poilus de Verdun pouvaient être fiers ! La France était belle et bien sauvée.
Des gouttes de condensation perlaient sur les parois du verre de vin presque achevé, le soleil en marche était à son zénith, Charles-Edmond avait les yeux mi-clos.
Il pensait au fait que ses achats d’actions allaient désormais échapper au calcul de l’ISF. Il était tout simplement heureux.
Xavier Eman (in revue Elements numéro 167)