Le plus beau jour de sa vie
On pourra bien sûr mettre cela sur le compte de l'aigreur ou d'une sorte de jalousie non-assumée mais l'espèce de frénésie-obsessionnelle-névrotique qui s'empare des femmes lors de la préparation de leur mariage me plonge dans des abîmes de perplexité et d'affliction. Par « préparation du mariage », il ne faut bien sûr pas entendre la « préparation » morale et religieuse qui précède l'échange des voeux, à laquelle on continue certes à s 'adonner, avec agacement et en écoutant d'une oreille, pour avoir le droit d'accéder à un « endroit qui a de la gueule » (une église ), mais, bien sûr, l'organisation de la « journée » du mariage... « L'événementiel » en quelque sorte. Il ne s'agit donc nullement de réfléchir à la profondeur des fondements du couple, à s'interroger sur l'objectif de la construction familiale ou sur l'éducation que l'on donnera à ses futurs enfants, mais de choisir la couleur des serviettes, la qualité des amuses-gueules et le nom du DJ... Car « réussir son mariage » signifie en réalité « réussir la super teuf du jour de son mariage »... Pour la suite, advienne que pourra... Ce qui compte, c'est de vivre une « journée exceptionnelle et inoubliable », et si possible, d'en foutre un peu plein la vue pour montrer qu'on n'a pas non plus épousé le dernier des traîne-patins... Du champagne de meilleure qualité qu'aux noces de cette pute de Séverine, un orchestre plus étoffé qu'à celles de cette prétentieuse de Virginie et un cadre autrement plus classe qu'aux épousailes de la pauvre Olivia (Séverine, Virginie et Olivia étant les « meilleures amies », les « témoins »...) Parce que de toute façon, « on » le mérite, puisqu'on est quand même une princesse... Les kilomètres de bites enfournées précédemment sont évidemment effacés par ce moment merveilleux et unique (pour l'instant..). En découle donc une année entière d'intense agitation, de fébrilité, de crises d'hystérie et de hurlements sur le futur conjoint qui ne « s'implique pas assez » dans des questions aussi fondamentales que la tenue des loufiats ou la sélection des pétales de fleurs qui tomberont du plafond lors de l'entrée des nouveaux époux dans la salle de bal.. On a « vraiment adoré » le mariage « taboulé/rillettes » de Michel et Emeline, parce que « bon, quand on n'a pas les moyens autant faire du simple plutôt que d'essayer de faire du faux luxueux, tu vois... et puis c'est sympa aussi le côté rustique... » mais, pour soi, on espère quand même un peu autre chose... Les pipes ne sont pas toutes au même prix. Dis moi combien tu es prêt à casquer et je te dirais combien je t'aime.. et si j'ai fait expertiser la bague de fiançailles, c'est vraiment pas pure curiosité !
Cette tension extrême, cette pression psychologique et morale exacerbée expliquent peut-être en partie la déshérence de nombreux couples à la suite de leur noce, le point culminant de la relation ayant été atteint lors de cette exercice ultime de représentation sociale.. Ne reste plus alors qu'à tenter de relancer la machine avec un gamin qui meublera le vide laissé par la fin des commandes de dragées et des essayages de robe...