Comme un lundi
Tous les matins c’est pareil, et tous les matins, entre les remugles de pisse se dégageant du clodo vautré sur le quai et les premières vociférations téléphoniques des camés du cellulaire, on se repose la même question : comment en est-on arrivé là ? Comment en est-on arrivé à accepter de mener ces vies de cons ?
Les couloirs du métro dégueulent leur diarrhée quotidienne de post-humains zombifiés. Certains sont pressés, d’autres traînent les pieds, déjà épuisés… Tous s’entassent, se collent, s’amoncellent dans les fourgons à bœufs qui les mènent à leur précieux jobs, au mieux inutiles, au pire absurdes et néfastes. Pour eux, pour les autres. Il est 8 heures et l’ennui les écrase déjà. Existences mécaniques, répétitives, ritualisées. Perdre sa vie à la gagner… On est en plein dedans, jusqu’au cou. Est-ce cela une vie d’homme ? Un train de banlieue, un écran d’ordinateur puis un écran de télé qui lui succède, et ainsi de suite, indéfiniment… Pour donner le change on va feindre d’adorer son boulot, de s’y impliquer, de s’y « épanouir », mais au fond de soi on sait bien que c’est de la flûte, que cela n’a pas de sens, que c’est dérisoire, vain… On triche, mais on sait. C’est pour ça qu’on picole, qu’on se bourre de médocs, qu’on poste des photos de son cul sur Facebook, qu’on va chialer chez un psy, demi-taré encore plus mal foutu que soi mais qui a réussi à transformer ses névroses en attrape-gogos méga-bankable… Vies de cons, étriquées, poussives, accablantes, qui n’ont d’autres finalité que de payer, payer, payer, payer... payer des trucs inutiles, des services inefficaces, des logements minuscules, des obsolescences programmées, des vacances forcément pourries à force d’être caricaturales… Bien sûr on baise un peu, ça distrait, ça occupe… un moment du moins... Mais de ça aussi on se lasse. Ce n’est jamais aussi bien que dans les pornos de toute façon. Elle ne parvient pas à mettre ses chevilles derrière ses oreilles et rechigne à la participation de deux ou trois copains… Alors, tu penses… A un moment, le foot devient presque plus excitant… Du moins on feint de s’exciter encore un peu pour ça, histoire de se prouver qu’on peut encore être autre chose qu’une loque aboulique. Un supporter hystérique, voir violent, c’est quand même un vivant. C’est déjà ça. Et puis ça permet de zapper un ou deux repas avec la belle famille, ces bons moments passés à la campagne entre les reproches de la belledoche sur la façon dont vous traitez sa connasse de fille et les anecdotes lourdingues du beau-père collectionneur de timbres et militaire frustré amateur de récits d’une guerre d’Algérie qu’il n’a pas faite. Sans parler des cousins et cousines, tous la gueule de travers et finis au pipi à force de ne pas vouloir que le flouze sorte de la famille… Tout ça justifie bien les deux heures d’embouteillages du retour, d’autant qu’on a pu rapporter un panier de pommes pourries, gorgées d’asticots et trois tranches de jambon blanc parce que bon, c’est sûr, à Paris, y’a pas de boucherie ni de charcuterie qui font d’aussi bons produits que ceux du père Matthieu, le voisin alcoolo au dernier degré, confit comme une cerise au kirsch, qui met trois heures à égorger le cochon tellement il a la tremblote et qui enveloppe les morceaux de barbaque dans de grands torchons à carreaux jamais lavés depuis le décès de sa femme en 2006 et dans lesquels il s’est probablement mouché, si ce n’est pas pire …
Et puis tout ça mène à nouveau au lundi, et tout recommence, tout reprend sa place… encore et encore…