Osez le viol!
La salle de réunion du centre social Salvador Allende de Trappes était presque comble. C’était la première fois qu’une réunion de l’association rassemblait un public aussi nombreux. Apparemment, le thème de la soirée, « Approches sexuelles insistantes par des migrants : en parler sans discriminer ! » avait trouvé un assez large écho dans la population, succès dont Bérénice Delafosse, la présidente-fondatrice de « Osez le cuni! », ne pouvait que se féliciter. Son choix courageux - et contesté - de « délocaliser » les rencontres-débats de l’association (même si elle préférait l’expression « groupe de parole et d’investissement citoyen ») du 8e arrondissement jusqu’à Trappes semblait porter ses fruits. Il est vrai que les précédentes éditions avaient été assez peu mobilisatrices, les thématiques choisies - « Ma fille est un pédé comme les autres » et « La hiérarchie dans l’entreprise, un viol symbolique ? » - s’étant révélées par trop avant-gardistes et élitistes.
Ce soir, c’était en tout cas une assistance dense et attentive qui se pressait sous les néons tremblotants du préfabriqué en attente de réhabilitation depuis 2003. Malgré la lumière crue et impitoyable des tubes lumineux creusant les rides et accentuant petites rougeurs et prémisses de furoncles, l’atmosphère était à la communion, sinon à l’enthousiasme. Mêmes les quelques hommes arrachés au confort footbalistique de leur téléviseur arboraient des mines aussi affables que concernées. C’est bien évidemment Bérénice qui introduisit la soirée - à « Osez le cuni! » il n’y a pas d’autorité imposée mais une préséance naturelle - en dressant un tableau aussi émouvant qu’empathique de la situation des populations migrantes mâles, déracinées, rejetées, dénigrées, confrontées à une presque complète « carence affective » pour ne pas dire un total « déficit affinitaire » pouvant conduire, parfois, à des comportements non-appropriés. Du moins tant que ceux-ci ne sont pas « correctement interprétés » par les individus en situation de féminité qui en sont la cible… Ainsi il fut clairement démontré que le sifflement égrillard du beauf européen blanc à la vue d’une jeune femme passant devant la terrasse où il est attablé n’avait absolument rien de commun avec le doigt malingre, souffrant et affamé introduit fugacement dans l’anus d’une passante sur le parvis de la gare de Cologne. Agression machiste et dégradante, vestige de l’oppression patriarcale occidentalo-bourgeoise dans le premier cas, cri de détresse et appel à la solidarité sexuelle transnationale dans le second. Une dichotomie confirmée par les témoignages qui suivirent, émanant de jeunes femmes confrontées à des « sollicitations érotiques énergiques » que leurs préjugés culturels et sociaux avaient pu leur faire percevoir, dans un premier temps, comme des « agressions ». Ainsi Anne-Marie, piquante blonde au léger strabisme, expliqua-t-elle, avec beaucoup de retenue et de dignité, que « ce qui la dérangeait le plus », ce n’était pas tant de se faire tripoter dans la rue mais le fait que cette palpation ne soit pas précédée d’une demande aimable et courtoise, en bonne et due forme. Cependant, elle admettait évidemment qu’étant donné le « fossé linguistique » ce préalable oral se réduise à sa plus simple expression et laisse finalement fort naturellement la place à une démonstration physique plus explicite. Il est bien sûr hors de question de condamner qui que ce soit pour des déficiences dans la maîtrise des langues étrangères. Quant à Laurence, jeune obèse magnifique d’acceptation de soi dans son legging moulant et son micro tshirt à paillettes, elle fût très applaudie lorsqu’elle déclara que « comme tout le monde », elle était fascinée par la grosse bite des fiers peuples subsahariens mais qu’elle se sentait insultée que ceux-ci pensent devoir la lui « imposer » alors qu’elle ne souhaitait que s’ouvrir et s’offrir à eux dans une démarche à la fois de rédemption vis-à-vis des crimes coloniaux passés et de sublimation festive sexuello-érotico-multiculturelle. « Nos frères du néo-prolétariat en état de mouvance n’ont pas besoin d’user de violence pour accéder à notre intimité charnelle, arme consciente et généreuse d’intégration massive ! Nos orifices accueillants sont autant de nobles fêlures dans le mur de haine et de rejet que tentent de construire le Front National et ses affidés ! L’ouverture à l’autre, à nous de l’incarner au quotidien, concrètement !» fut la conclusion de la dernière intervenante, saluée par la standing-ovation d’une assemblée au bord de la transe. Seul incident à déplorer, un individu de type masculin, qui exhibait l’indécence de son phallus de substitution - sa voiture, un break Renault odieusement familial - pour proposer à des participantes de les raccompagner chez elles, dût être exfiltré par la sécurité du lieu avant qu’il ne soit molesté par la foule. L’identité du provocateur n’a pas encore été révélée.
Xavier Eman, in revue "Eléments" numéro 159.