Attention école
Bien que je fus bon élève, je n’ai jamais aimé l’école. La grande du moins, celle où l’on ne fait plus la sieste et où l’on ne joue plus, ou si peu. C’est dans le bus de ramassage scolaire transbahutant sa quarantaine de condamnés qu’est née au fond de moi cette boule d’angoisse, de crainte diffuse et indéfinie, qui ne devait plus jamais me quitter.
Je n’aimais pas l’école. Les longues heures d’ennui à tracer des triangles isocèles ou à torturer des souris. Les petites brutes sadiques, héros de la cour de récréation. Les profs neurasthéniques, dépressifs, malodorants. Et le supplice du sport, bien sûr, quand on est malingre et maladroit… Classé dans la catégorie « intello », qu’il me fallait absolument briser pour survivre, j’y ai aussi découvert que la méchanceté, la cruauté même, pouvaient rendre populaire. Moquer et humilier les plus faibles, les plus tordus que soi, pour faire ricaner les gros cons et être invité à leurs « boums » afin d’y tripoter quelques prémisses de nichons et y être « dépucelé de la bouche » par un vague boudin délaissé par les forts en football et les détenteurs de mobylettes. L’école m’a appris la bassesse et la médiocrité plus sûrement que l’arithmétique et la grammaire.
Il y avait les jolies filles aussi, bien sûr, celles qu’on n’avait jamais. Et puis la jolie fille qu’un jour, va savoir pourquoi, on a, mais dont, finalement, on ne sait que faire.
Il y avait des éclaircies aussi. Les convocations chez le proviseur où l’on s’étonnait « de vous retrouver en pareille compagnie », les engueulades au conseil de classe entre le prof de français et le prof de maths, l’un affirmant que vous étiez « exceptionnellement doué», l’autre « quasiment demeuré ». Les deux se trompant tout autant mais s’invectivant joyeusement. Puis les premiers joints, les premières bitures, la première pipe… Finalement, avant le Bac, on a déjà fait le tour de tout ce qu’il y a d’intéressant dans l’existence.
Il y avait aussi Monsieur Demillac, le prof qui parvenait à faire aimer la littérature au plus farouche des collectionneurs de vignettes des « crados ». Une caricature de « hussard noir de la république » égaré en plein naufrage… Le mec qui invitait ses élèves chez lui en fin d’année – pour leur lire des extraits de Phèdre et d’Antigone – sans même chercher à leur toucher le kiki…
Il y avait les amitiés « à la vie, à la mort » qui disparaissaient au premier déménagement, à la moindre bifurcation…
Et il y avait, déjà, pas mal de solitude et d’incompréhension. Les premiers vertiges suicidaires, complaisamment ressassés.
Les grands bâtiments carcéraux, la piteuse défécation du « 1% culture » plantée devant l’entrée, la bruyante vulgarité d’une meute déjà à demi décivilisée, la nourriture d’hôpital, « l’arbre de la liberté » aux trois quarts crevé, l’odeur de pisse et d’ammoniac des couloirs, les premiers graffitis, le cours d’histoire après 2 heures d’EPS dans une ambiance de vestiaire à faire dégueuler un migrant...
Et l’endoctrinement bien entendu, la Shoah en suppositoires pluri-hebdomadaires, le racisme à toutes les sauces, les gentils, les méchants, les mensonges citoyens, la culpabilisation historique, les « travaux pratiques autour de la question du Sida » qui valent un renvoi si l’on suggère l’organisation d’une partouze, le « conseiller d’orientation » qui a échoué là parce qu’il se faisait caca dessus devant une classe de 25 élèves et dont on se mord les lèvres pour ne pas lui demander si quelqu’un, un jour lui a osé lui « conseiller » ce boulot de merde…
Usine à conformisme, à conformité, l’école est une vaste escroquerie. Elle bride, formate, émascule. Elle n’apprend pas à raisonner mais à être raisonnable, à penser petit, à survivre. Elle est triste et lugubre comme un plan de carrière, comme un formulaire d’inscription à l’ANPE. A mi-chemin entre la garderie et le centre de rééducation, elle ne sert à rien d’autre qu’à reproduire à l’infini le même modèle social. Avec elle, aucun risque que quelqu’un quitte la place que lui a attribué sa naissance. Fumisterie obèse et coûteuse, elle ne produit plus que des chômeurs aigris, des étudiants analphabètes et des semi-lettrés outrageusement prétentieux… Enfin bref, je n’ai jamais aimé l’école.