Tradition?
« Nous pensons qu'une tradition occidentale, si elle parvenait à se reconstituer, prendrait forcément une forme extérieure religieuse, au sens le plus strict de ce mot, et que cette forme ne pourrait être que chrétienne, car, d'une part, les autres formes possibles sont depuis trop longtemps étrangères à la mentalité occidentale, et, d'autre part, c'est dans le Christianisme seul, disons plus précisément dans le Catholicisme, , que se trouvent, en Occident, les restes d'esprit traditionnel qui survivent encore. Toute tentative « traditionaliste » qui ne tient pas comte de ce fait est inévitablement vouée à l'insuccès, parce qu'elle manque de base ; il est trop évident qu'on ne peut s'appuyer que sur ce qui existe d'une façon effective, et que, là où la continuité fait défaut, il ne peut y avoir que des reconstitutions artificielles et qui ne sauraient être viables ; si l'on objecte que le Christianisme même, à notre époque, n'est plus guère compris vraiment et dans son sens profond, nous répondrons qu'il a du moins gardé, dans sa forme même, tout ce qui est nécessaire pour fournir la base dont il s'agit. La tentative la moins chimérique, la seule même qui ne se heurte pas à des impossibilités immédiates, serait donc celle qui viserait à restaurer quelque chose de comparable à ce qui exista au moyen âge, avec les différences requises par la modification des circonstances ; et, pour tout ce qui est entièrement perdu en Occident, il conviendrait de faire appel aux traditions qui se sont conservées intégralement, comme nous l'indiquions toute à l'heure, et d'accomplir ensuite un travail d'adaptation qui ne pourrait être que l'oeuvre d'une élite intellectuelle fortement constituée. »
Réné Guénon, « La crise du monde occidental », Folio essais.