Pour le pire
C'était un soir à écouter du Michel Sardou en bouffant des chokobons pour faire passer le goût du mauvais vin. Il fallait économiser les clopes alors on avait ressorti un vieux paquet de tabac à rouler aussi sec qu'une chatte de militante féministe. Il faisait doux, les enfants dormaient, enfin. On attendait avec impatience la fin de la semaine de garde partagée en se demandant bien pourquoi on avait bataillé durant des mois, par avocats interposés, pour l'obtenir. « Juste pour faire chier cette salope... » concluait-on. La salope en question c'était la femme qu'on avait aimée, dit aimer en tout cas, puis épousée, à laquelle on avait juré soutien et fidélité pour l'éternité devant 150 crétins endimanchés qui ne pensaient qu'à la perspective d'écluser le champagne pour l'achat duquel on avait sacrifié la moitié de son PEL. C'était la femme avec qui on avait couché avec passion pendant 6 mois puis avec qui on s'était fait chier. C'était cette femme qui nous reprochait de ne jamais être là mais passait le temps partagé à déverser récriminations et reproches. « Je souffre de n'avoir pas assez de temps pour t'emmerder. » en quelque sorte. C'était la femme avec qui on avait eu deux gosses, l'un parce que c'est ce qu'on fait après s'être marié, l'autre pour tenter de « relancer le couple ». Mais l'enfant médicament, l'enfant pansement, l'enfant psychanalyse, n'avait pas fonctionné. Pas plus que le reste. Maintenant les deux petits monstres trop gâtés, les deux petits trous du cul geignards et capricieux, sachant déjà si bien jouer de leur statut « d'enfants de divorcés », dormaient dans la chambre d'à côté du sommeil bienheureux de futurs cadres moyens abonnés à Canal+ et adhérents du Modem.
On avait cru se sauver en faisant comme tout le monde, on se retrouvait dans une merde encore plus noire, une solitude plus absolue bien que bruyante et surchargée de corvées aussi diverses que palpitantes. Amener les gosses aux activités sportives ou musicales dont ils se lassaient au bout de deux mois, les conduire chez le dentiste, le pédiatre, le pédo-pyschiatre, le coiffeur... Supporter leurs visages bovins plongés dans leurs jeux vidéos (« Avec Maman et Francis on a le droit ! »), leurs pyjamas Spiderman, leur Titeuf et leur Bob l'éponge... Avant, on n'avait rien réussi, maintenant on était bien sûr d'avoir tout raté. Putain de garde partagée... Une semaine sur deux de double peine, le boulot et les chiards. Une semaine sur deux à ne pas – trop – picoler, à ne pas pouvoir lire ni voir les copains, les seules choses qui, finalement, rendaient l'existence supportable.
Restait Michel et sa maladie d'amour arrosée de Baron de Lestac, les souvenirs des espoirs un peu niais jaillissant des flammèches d'un feu de camp, les cadavres littéraires alignés dans leurs boites Ikea et un vieux poster parlant d'Ordre Nouveau...