Le cimetière de Passy
« Le cimetière de Passy n'est pas une nécropole ordinaire. Ceux qui reposent là, comme on dit, ne sont pas vraiment morts. Accrochés à des biens, à des honneurs, à des affections qui, tout au plus, ont consenti à prendre la forme et la dureté de la pierre, ils s'éternisent tout pourrissants dans un monde où jadis ils ont tenu leur place. Guère moins immobiles qu'à présent car c'étaient presque tous des gens riches, et la richesse pèse sur les êtres qu'elle accable, elle les oblige à faire figure ; or jamais on ne fit mieux figure que sous ces tombes chargées d'ornements ; dignes, opulentes, laides, bêtes et muettes comme une douairière dans un salon.
N'est-ce pas encore une espèce de salon bourgeois que cette assemblée de tableaux insipides et de meubles disparates entre lesquels le visiteur, se glissant dans les intervalles, cherche des âmes, des ombres. Elles sont absentes. Le cimetière de Passy est vivant à ras de terre, protégé par les vices et les vertus de la classe la moins disposée à mourir ; mais au dessus il n'y a rien. Pas de souvenir qui se traîne, pas de tristesse qui flotte. Un espace propre et neutre, à jamais interdit aux fantômes. Ils se le sont tenu pour dit. »
Robert Poulet, "J'accuse la bourgeoisie", Editions Copernic.