Briser les carcans
« Bob l'éponge : le film »... une nouvelle version de la comédie musicale « Annie » avec évidemment, forcément, obligatoirement, une petite négresse... le cul-cul faussement transgressif de « 50 nuances de grey »... les couloirs du métro étaient, comme à l'ordinaire, une longue litanie d'afflictions. François pressait le pas bien qu'il fût encore une fois en avance. Après 15 ans passés à Paris, il n'était toujours pas parvenu à se débarrasser de cette manie provinciale qu'est la ponctualité.
Comme prévu, il arriva le premier dans le bar et s'installa à une table libre prés de l'entrée. Le son déversé par les haut-parleurs ne correspondait à aucune des images qui défilaient sur sur les divers écrans plats répartis un peu partout dans la salle. Cette dichotomie renforçait l'impression d'abrutissant chaos qui régnait dans l'établissement. C'était sans doute là le but recherché ; A entendre la conversation de la tablée voisine, cela semblait plutôt efficace.
François pensa alors au docte et sans doute fameux sociologue qui signait le matin même une puissante et courageuse chronique dans « Libé ». Le scientifique avait en effet parfaitement raison : il était urgent de « repenser la nuit ». C'était une nécessité désormais impérieuse. La nuit n'était plus "citoyenne", ni "trans-générationnelle", ni même "conviviale", elle était devenue "segmentée", "clivante" et outrageusement "communautarisée". En clair, les ploucs blancs tisaient leur gros rouge au comptoir des PMU, les nègres et les salopes s'éclataient en soirées zouk, les cadres encore dynamiques s'envoyaient des mojitos à Oberkampf, les CSP++ partouzaient aux Chandelles tandis que les classes moyennes en voie de précarisation se faisaient soulager buccalement Boulevard des Maréchaux... Chacun pour soi, la misère des matins blêmes et migraineux pour tous.
Cet odieux compartimentement ne pouvait décemment plus durer, et il convenait de recréer au plus vite des "lieux transversaux et polymorphes" où chacun pourrait retrouver ses "codes identitaires propres" sans que ceux d'une "tribu" ne prennent le pas où l'ascendant sur les autres. François adhérait complètement à ce généreux projet. D'ailleurs dès ce soir il comptait bien aller boire du rouge aux Chandelles avec ses amis noirs danseurs de zouk... La révolution nocturne était en marche.