Touchez ma bosse...
Elle était malade. Encore une fois. Comme toujours. La maladie était devenue sa façon d'être, son moyen d'expression, sa spécificité. Elle était malade et gémissante depuis maintenant des lustres. La litanie de ses statuts facebook faisant part au monde de ses affres quotidiens n'étaient désormais plus « likés » que par quelques compatissants forcenés qui s'obstinaient à faire cet improbable effort de solidarité. Le devoir, vous comprenez. Elle souffrait de l'une de ces maladies modernes qu'aucun médecin n'était parvenu à diagnostiquer mais que personne ne remettait en cause– la parole du douloureux est sacré -, un truc rare et orphelin sans doute, à base de maux de tête, de vertiges et d'incapacité à se lever le matin. Quelque chose dont était sûrement responsable son père trop absent ou sa mère trop présente, ou peut-être les odieux attouchements d'oncle Gérard qui lui avait caressé la cuisse au bord de la piscine familiale le 3 août 1990... Enfin un truc lourd quoi, un truc qui l'empêchait de travailler, bien sûr, et aussi d'être aimable et agréable avec qui que ce soit, à commencer par son mari, le pauvre con qui « ne comprenait rien » et qui, à défaut de sensibilité psychologico-pyschanalytique, se tapait l'ensemble des tâches familiales et ménagères en plus de son boulot de cadre informatique. Car même faire cuire 5 œufs au plat pour son époux et sa progéniture était un effort trop immense, un pénibilité bien trop atroce dans son état de somatisation végétative. Les seules choses qu'elles trouvaient encore la force de faire était regarder des séries télévisées sur Nettfix, lire des magazines féminins et palabrer avec des mecs sur les réseaux sociaux. Il y a pour toutes, toujours, une clientèle de morts la faim, même pour les cancéreuses en phase terminale, ce qu'on aurait pu croire qu'elle était lorsqu'on l'écoutait, avant d'apprendre qu'elle partait « quinze jours aux Antilles » pour « faire le point et essayer de récupérer ». Sans son mari et ses enfants, ce qui « était franchement super dur » mais « carrément préférable dans son état ».