Un roman immense et rouge
Dans son dernier roman traduit en Français, Alberto Garlini nous entraîne dans les tumultes et les chaos des « années de plomb » qui déchirèrent l'Italie dans les années 70. Si cette période trouble et sanglante a déjà suscité beaucoup de littérature de l'autre côté des alpes, l'originalité de Garlini est de choisir d'adopter le point de vue des habituels « méchants », ces jeunes fascistes exaltés et violents qui rêvaient de révolution nationale et basculèrent dans la lutte armée.
En narrant la destinée tragique du jeune Stefano, qui à la suite d'un meurtre involontaire au cours d'une bagarre estudiantine s'enfonce dans la violence terroriste, l'auteur échappe au manichéisme et au simplisme qui prévaut généralement lorsqu'est évoquée cette période de l'histoire italienne. Alberto Garlini narre avec finesse et brio les passions qui animaient les jeunes gens de cette époque, leurs aspirations, leurs rêves, leur courage mais aussi leurs failles, leurs fêlures, leurs affres psychologiques et l'enchevêtrement complexe de pensées et d'événements qui a mené certains d'entre eux de l'idéalisme politique aux assassinats et aux attentats. Mettant en exergue les envolées lumineuses mais aussi les parts d'ombre de cette jeunesse engagée, sans jamais la juger, Garlini offre une fresque puissante, subtile et ambitieuse, violente et tragique, qui ne peut que bousculer le lecteur.
« Nous avions une mission, l'honneur de l'Italie, c'était un bien qu'on ne pouvait mettre en discussion et d'on devait célébrer par le sang. En cas de guerre, la victoire vient de la supériorité matérielle, armes, réserves, ravitaillement. Le vrai courage est dans la défaite. Résister sous uen tempête d'acier, comme des ascètes. Rendre coup pour coup, jusqu'à la dernière fibre de son être. C'était notre conviction. Mourir pour l'Italie. Mourir d'une belle mort. »
L'auteur montre également la façon dont la police et les divers « services » ont infiltré et manipulé ces « soldats perdus », les utilisant à des fins politiques bien éloignées de leurs ambitions de révolution nationale et sociale et de mise à bas de l'ordre bourgeois. Une leçon toujours à retenir par tous les militants du monde.
«Que savent-ils de nos rêves, des fantasmes qui nous réveillent la nuit et ne nous laissent pas en paix? Nous pensons qu’il existe un monde meilleur. Peut-être sommes-nous les seuls à le penser, mais qu’importe… »
Xavier Eman (in Livr'arbitres numéro 15, www.livr-arbitres.com)
« Les noirs et les rouges », Alberto Garlini, Editions Gallimard, 675 p., 27,50 euros.