Les ivrognes de Maulin à l'assaut du monde moderne
Que faire face à la fin, sinon du monde, du moins de notre société ? Lire Olivier Maulin et profiter des grands rires que suscite sa prose pour éviter de tomber dans la neurasthénie ou la dépression la plus noire.
Avec son dernier ouvrage, « Gueule de bois », Maulin nous offre une réjouissante et impitoyable autopsie de la société post-moderne. En nous arrimant aux basques de ses chers « perdants magnifiques », demi-soldes du journalisme précarisé, et en nous narrant leurs pérégrinations éthyliques, l'auteur en profite pour dézinguer toutes les fausses idoles du temps et ridiculiser les prétendues « élites » muées en fossoyeurs du « monde d'avant » , celui que le « retour des loups » viendra peut-être sauver.
Ces loups qui reviennent s'installer dans les campagnes françaises et avec lesquels le « lieutenant », improbable éleveur de chiens ami de l'anti-héros Pierre Laval, communique et qu'il entraîne à l'assaut d'une « maison de retraite », l'un de ces innombrables mouroirs où l'on se plaît désormais à abandonner les anciens devenus inutiles et improductifs, et dont il va libérer les résidents maltraités. Mais avant cette scène épique et picaresque en forme de rédemption vosgienne, les personnages vont écumer les troquets parisiens et les salons dorées des soirées « jet-set », où tentent de s'oublier le même ennui et la même vacuité. Voyage au bout de l'ivresse. Le phalanstère des bras-cassés face à l'ignominie du monde consuméristo-matérialiste et de sa nullité satisfaite.
«Alors, tu parles si on l'avait trouvée, la réponse : ferme ta gueule et allume TF1 ! Divertis-toi ! Variétoche, téléréalité, culture documentaire, art, subversion, film d'auteur, paire de loches, y'en a pour tous les goûts. Profite de la petite camisole sympa qu'on a concoctée exprès pour toi : travailler, dormir, regarder la TV, débrancher ton cerveau, elle est pas belle ta vie, crevard ? Les bombarder d'images, les abrutir, les réduire à des émotions de petits zenfants. Fini idées, esprit critique, « oui masi quand même », « vous êtes sûr que ? », « un truc qui cloche » : émotions ! La gueule ouverte devant le poste, les émotions ! La vrai, le faux, le bien, le mal ? Va chier ! »
Refermer un livre d'Olivier Maulin, c'est comme quitter une soirée entre copains, heureux du bon moment passé, un peu triste de la brièveté de celui-ci et impatient de remettre ça.
Xavier Eman (in revue Liv'arbitres)
« Gueule de bois », Olivier Maulin, Editions Denoël, 220p., 18 euros.