Banlieue
Les mains enfoncées dans les poches de son pardessus, François remontait la rue de l'Avenir. Il fallait quand même être un sacré enculé pour avoir donné un tel nom à cette ruelle sinistre, insuffisamment éclairée et bordée de blocs de bureaux dont à peine la moitié avaient trouvé preneurs. Les crevards de banlieusards, ce n »est pas tout de leur construire des quartiers de merde, des bâtiments neufs déjà vieux et hideux à force d'être « fonctionnels », il faut encore se foutre de leur gueule, bien les humilier. « Rue de l'Avenir » pour cette sentine charriant deux fois par jour des troupeaux d'esclaves se déplaçant d'un clapier d'habitation à un cagibi de travail, fallait quand même oser ! Il avait dû bien se marrer le sadique qui avait pondu une telle idée.
En dehors des deux migrations quotidiennes, celles de 8h et celle de 18h, la rue était déserte, à peine agrémentée de quelques crottes de chien et constamment balayée par un vent agressif charriant la poussière du chantier du tramway. L'arrivée prochaine du tramway, c'était la grande affaire du moment. Cela allait permettre de désenclaver la cité et de « faire bouger la ville ». En attendant cela produisait surtout des embouteillages infernaux et des concerts de klaxons rageurs qui ressemblaient à des appels au génocide, mais il faut bien souffrir un peu pour être « désenclavés ».
Le froid commençait à prendre ses quartiers et François remonta son col après s'être allumé une cigarette. Il n'avait pas très envie de rentrer mais il n'y avait pas grand chose à faire dans ce grand rien où même les clochards ne venaient pas, de peur de mourir d'angoisse et d'ennui. Ses pas résonnaient dans la nuit et il aurait pu se croire le dernier homme sur terre s'il n'y avait pas eu, un peu plus loin, deux zombies encapuchonnés qui fumaient leur joint sous un abri bus.
Mal rasé, portant les mêmes habits que la veille, le crâne martelé par la migraine, François venait d'un lit qui n'était pas le sien et qui ne lui avait apporté aucune des réponses et des solutions qu'il en avait sottement attendu. Rien n'était dissipé, rien n'était allégé, au contraire même, il ressentait la lourde et poisseuse tristesse qui suit presque immanquablement le soulagement bestial des instincts, quand celui est à la fois un début et une fin. Une peau étrangère qui le resterait, des draps encore chargés de l'odeur d'un autre, une étreinte alcoolisée, presque haineuse, puis le silence, la gêne, l'ennui... Une poignée de mots maladroits et mensongers, puis la rue.
Le chemin semblait interminable, et c'était tant mieux. Marcher, se fatiguer encore un peu. Quelques fenêtres illuminées suggéraient qu'il y avait tout de même une vie dans ce no man's land grisâtre. Des vies même, de belles vies pourquoi pas. Certains cœurs doivent avoir la puissance suffisante pour s'extraire de tous les environnements et les repeindre aux couleurs de leurs espérances et de leurs passions. François lui, manquait de sang. Il en avait trop perdu, égaré dans le cimetière des illusions perdues.