Thrène
Il n'y a rien de pire que la guerre si ce n'est, peut-être, les générations qui ne l'ont pas connue. Privées de l'ombre de la mort précoce et imposée, débarrassées de la perspective de l'holocauste du champ de bataille, de l'épée de Damoclès du feu et des larmes, elles se réfugient frénétiquement dans ces ersatz de drames que sont la sentimentalité et le psychologisme. Chacun devient alors son propre théâtre des opérations militaires, sa propre zone de combat. Victoires, défaites, escarmouches, offensives et déroutes se jouent dans le périmètre de son nombril et l'ennemi est désormais tout ce qui est extérieur à soi. L'homme a tant besoin de souffrir qu'il invente les maux qui ne le frappent plus. Toutes les passions sont dégradées, les destins amoindris. Les cabinets des psychanalystes ont remplacé les forts de Verdun, et l'on s'agite pour faire croire que l'on est vivant puisqu'il n'est plus nécessaire de se battre pour vivre. Les âmes cabossées remplacent les gueules cassées, et les rictus de la comédie sociale les balafres de la vérité des armes. Les temps pathétiques succèdent aux temps tragiques.