Sans honneur et sans coeur
Quand on observe l'abyssale différence de traitement politico-médiatique concernant la mort de Julien Quemener, abattu à bout portant par un flic ripoux en marge d'un match de football, et celle de Rémi Fraisse, possiblement décédé des suites d'un tir de grenade au cours d'une confrontation où pleuvait les cocktails molotov, on ne peut qu'être profondément écoeuré. Non pas que les morts des uns vengent les martyrs des autres, non pas qu'on ne puisse compatir au sort de ce militant luttant pour une cause pas plus absurde ni illégitime que beaucoup d'autres ou qu'il faille faire une hiérarchie entre les victimes de la répression policière. Non, ce qui mène l'estomac aux lèvres, c'est l'humanisme à géométrie variable des bonnes consciences qui cornaquent notre temps, leur compassion téléguidée idéologiquement, leur sensiblerie de circonstances et leur sentimentalité sur commande. Ces gens – journalistes, politiques, commentateurs – sont faux jusque dans les émotions qu'ils prétendent ressentir. Leur hypocrisie manipulatrice ne s'arrête même pas au bord des tombeaux, elle se vautre dedans. Bien sûr, on le savait, mais on a aussi le droit de ne pas être blasé face à tant de bassesse et de vilenie. Chaque nouvelle démonstration et une nouvelle nausée. La mort d'un jeune idéaliste, ils s'en contrefoutent bien évidemment, complètement, totalement, absolument... Ils en tueront demains des dizaines ou des milliers quand il s'agira de défendre leurs prébendes et leurs sinécures. Ils veulent simplement jouer sur la corde sensible du gémissement collectif et de la larme partagée en gros plan au 20 heures.
Cela permet aux journaliste de Libé de retrouver les accents anti-flics de leur folle jeunesse, qu'ils avaient égarés depuis bien longtemps quelque part au fond des dessous sales de la famille Rothschild qu'ils sont dorénavant chargés de faire reluire à coups de langue. Cela permet à la « gauche radicale», désormais totalement ralliée au mondialisme libéral-libertaire et aux fumisteries « sociétales », de rejouer la carte du « fascisme d'état » afin de prétendre être toujours révolutionnaire. Cela permet aux droitards de beugler contre la « racaille gauchiste » et dénoncer le laxisme des « socialos ». Bref, cela permet de prolonger un peu la comédie. Le grand cirque. Chacun dans son rôle. Et tout le monde est content. A part, bien sûr, ceux qui pleurent un fils, un frère, un ami ou un camarade. Le comble de la tragi-comédie serait cependant atteint si l'on apprenait finalement que la victime était en réalité membre d'un groupuscule fascistoïde ultra-nationaliste. On se ferait alors expliquer – par les mêmes qui pleurnichent et se scandalisent aujourd'hui - que la défunt n'a eu finalement que ce qu'il méritait, qu'on ne joue pas impunément avec le feu et qu'il est bien normal que la démocratie se défende contre les menées factieuses d'individus dangereux, afin d'assurer l'ordre et la tranquillité des bons citoyens.
Il y a cependant fort peu de chances que cela arrive. Car l'extrême droite n'est pas au barrage de Sivens, elle est occupée à régler le conflit russo-ukrainien dans l'arrière salle des bistrots.