Le lundi n'est pas un jour pour sortir
François restait attablé au guéridon d'où s'était enfuie la demoiselle visiblement peu convaincue par ce premier rendez-vous. La bouteille était encore à demi pleine et il n'aimait pas gâcher. Il repensait à la mèche un peu grasse tombant sur l'oeil, à la figure légèrement boulote, au regard sans lumière, à la pauvreté de ses ambitions qui s'avéraient pourtant déjà inatteignables. Sur trottoir voisin, un con passait en trottinette, suivi d'un autre con sans trottinette.
A sa gauche, une tablée emplissait toute la terrasse de ses piaillements et de ses irruptions de petits rires stridents. Au milieu de cette bruyante assemblée trônait une brune incandescente dont la vulgarité rayonnante renforçait le charme facile et péremptoire. Visiblement à court de tabac à crapoter nonchalamment, la jeune fille se retourna à moitié vers François, le regardant à peine car encore passablement absorbée par sa conversation sur les mérites comparées des deux dernières version de l'Iphone, et demanda d'une voix visiblement peu habituée à n'être pas obéie :
- « T'aurais pas une cigarette ? »
« Si je t'en donne une, tu me suces ? » répondit-il sur le même ton mi-las mi-enjoué.
Les exclamations outragées et injurieuses qui suivirent démontrèrent de façon éclatante que le concept du « don/contre-don » n'était pas encore intégré par les masses.