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Un mec qui se branle dans les cuves de fabrication de Coca-cola, Jean-Marie qui reparle de Vichy pour faire chier sa fille, diverses maltraitances animales, des immigrés clandestins qui s'accrochent à des camions, des photos du petit dernier de Pierre et Mélanie... les infos défilaient sur sa page facebook, sans ordre, sans hiérarchie, sans importance, sans conséquence... Juste une perfusion permanente contre l'ennui. Sur la droite, les petits ronds verts indiquant les autres crétins branchés simultanément sur la même source hallucinogène. Des gens qui s'acharnent à tapisser leurs murs de photos sensées prouver au monde le caractère réjouissant, enrichissant, trop fun et coolos de leur existence quotidienne mais dont l'omniprésence sur le réseau suffit à démontrer très exactement et sans discussion possible le contraire. Clichés de soirées trop la délglingue, youpi, putain qu'est-ce qu'on s'est mis, mégas bon souvenirs... Voyages à l'autre bout du monde, déplacements de la fatigue et de l'aboulie sur des terres lointaines... Citations d'auteurs qu'on n'a pas lu ou qu'on n'a pas compris... On aime en un clic. On rompt en bloquant un IP. On participe à des « événements » qui n'en sont pas, on répond à des invitations anonymes. On pérore sur une agora sans frontières ni limites où tous les avis se valent, où chacun peut parler de tout et de son contraire. On le sait, on n'est pas dupe, ou du moins pas toujours, mais on y vient quand même, car on n'a pas le choix, il n'y a pas d'alternative, le simulacre de vie plutôt que le risque de l'effacement, de la non-visibilité, de l'isolement, de l'étroitesse du réel. Je poste donc je suis.
François se roulait une cigarette en parcourant une énième confrontation de propagande à propos de la crise ukrainienne, échanges vindicatifs entre super-radicaux qui se promettaient mutuellement des balles dans la nuque avant d'aller dîner avec bobonne et de regarder The Voice. Il aimait l'odeur du tabac brun à rouler et son âpreté un peu agressive qui tapisse la gorge et invite à la boisson. Des articles en retard, des livres à finir, des paperasses à remplir, des lettres à envoyer, il n'en avait cure, perdu dans la fascination du dégueulis du monde. On ne reviendrait plus en arrière, la virtualité, la mise en scène, le simulacre avaient définitivement triomphé. Bienvenue dans le monde des tricheurs et des faussaires presque malgré eux. La pluie tapait au carreau. Il lui aurait bien ouvert pour nettoyer un peu l'atmosphère mais l'effort représenté par le fait de se lever le rebuta. Il n'était plus qu'un œil captif et halluciné, bercé par l'invasion islamiste, le synode du Vatican, le maillot de bain de Sophie, le come-back de Rage against the machine, les meubles design de Jean-Paul et les aventures d'un Panda échappé du zoo...
A l'instar des volutes de fumée qui l'entouraient, il flottait littéralement dans le non-monde abjecte et rassurant du n'importe quoi.