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A moy que chault!

Paris, malgré tout...

12 Octobre 2024, 12:05pm

Publié par amoyquechault.over-blog.com

Il fait beau à Paris. Les touristes rayonnent de satisfaction et même les garçons de café, pensant à la recette du soir, desserrent quelque peu les dents pour offrir exceptionnellement au monde bouleversé d'étonnement et de stupéfaction quelque chose qui ressemble à un sourire. Les jupes sont courtes, les robes légères, les démarches sautillantes ou nonchalantes, des talons claquent sur le trottoir, des rires explosent, c'est un temps à être heureux et son doux parfum s'introduit dans les interstices des cœurs même les plus fermés, les plus vaincus. On passe les ponts de la Seine sans avoir envie de s'y jeter, on remercie le ciel de pouvoir contempler sa clarté idyllique, on s'assoit sur un banc et on fixe intensément un point à l'horizon comme pour tenter d'immortaliser l'instant. On n'a plus envie de se battre, de hurler, de boire, d'expliquer, dé dénoncer, de débattre… On voudrait simplement se fondre dans le paysage, devenir un pavé ou un lampadaire pour être définitivement un élément de ce décor unique et grandiose. On referme alors ses doigts contre sa paume, espérant y enserrer une main amie, mais même cette absence devient secondaire. On est seul mais on vit. Et c'est déjà beaucoup.

Paris, comme Rome, est une ville idéale pour les mélancoliques et les nostalgiques. Les vestiges de sa grandeur passée, sa beauté à la fois immuable et dégradée, son altière décadence sont le décor parfait du romantisme blessé. Une ville désormais peuplée de teufeurs, de hipsters et d'un lumpen prolétariat totalement acculturé mais dont les pierres respirent encore l'art et la littérature, la violence historique et la volonté impériale. Un écrin aujourd'hui vide mais toujours enivrant. Il suffit de marcher au hasard, exposé à toutes les embuscades de beauté et de poésie, et de garder constamment le regard au niveau du premier étage des maisons et immeubles, juste au dessus de la zone où commencent le grouillement et le pourrissement. Ne rien écouter, surtout, ni les palabres des passants, ni les vociférations des obsédés téléphoniques, juste ressentir. Oublier les remugles de pisse se dégageant du clodo vautré sur le trottoir, les vociférations des camés du cellulaire, les éructations des racailles en goguette, la triste passivité des bouches de métro dégueulant leur diarrhée quotidienne de post-humains zombifiés. S’imaginer à une autre époque, en un autre temps, dans les pages d’un roman de Malet ou de Simenon, espérer croiser un mousquetaire ou un hussard au coin de la rue, inventer une barricade, une canonnade, s’évader pour pas cher… La magie de Paris survit à tous les outrages, et si l’on veut bien souvent quitter et fuir ce qu’elle est devenue, c’est en gardant toujours, quelque part au fond de l’âme et du coeur, l’espoir d’y revenir un jour.

 

Xavier Eman  ( in revue Livr'arbitres numéro 47)