Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
A moy que chault!

Une fin du monde sans importance

22 Novembre 2017, 11:40am

Publié par amoyquechault.over-blog.com

La punition

 

André regardait pour la énième fois sa montre mais le temps ne passait pas, il semblait suspendu, écrasé lui aussi par la chaleur estivale et l'atmosphère étouffante de cette plage surpeuplée. Cela faisait à peine une heure qu'ils s'étaient installés, avec Marie, sur ce mètre carré de sable miraculeusement inoccupé et il s'emmerdait déjà fermement. A ses côtés, son épouse semblait pour sa part être déjà tombée dans un semi coma, étalée sur sa serviette éponge, rosissante sous les assauts du soleil. Avec ses kilos en trop écrasés sur le sol, elle ressemblait à quelque chose se situant à mi-chemin entre l'oeuf sur le plat et la méduse. A cette pensée, André eut un léger haut le cœur et chercha a détourner le regard mais, sur cette plage essentiellement familiale, il n'y avait même pas un bout de jeune et sympathique nichon à reluquer. A perte de vue, ce n'était que cellulite, vergetures, pilosité mal maîtrisée, ventres affaissés, genoux cagneux et plis graisseux en tous genres... Le travailleur libéré, la laideur décomplexée.

André avait trop chaud, sa propre peau poisseuse, enduite de force de crème solaire par une Marie tenant à éviter le cancer à son cher et tendre, le dégoûtait, les cris des gamins jouant alentours lui martyrisaient les tempes, le vent consumait ses cigarettes à une vitesse excessive tout en lui projetant dans les yeux des petits cristaux salés et son esprit vagabondait entre le désir de suicide et l'envie de génocide... Bref, il était en vacances.

Chaque année, c'était la même chose, le même tarif, la même punition. Quinze jours à la mer. N'importe où mais à condition « d'avoir du soleil ». Car Marie avait besoin de soleil, un besoin presque vital disait-elle, pour « décompresser », « récupérer » et se « régénérer » avant de reprendre le job épuisant de « mère au foyer sans enfant mais très investie dans l'associatif ». Une relative paix conjugale le reste de l'année était à ce prix, il fallait donc en passer par là. La location balnéaire hors de prix, les embouteillages délirants pour y parvenir, les barbecues avec les cons de voisins ex-sarkozystes néo-macronistes mais toujours bedonnants, arrogants et ignares, les restaurants dégueulasses et les cartes postales obligatoires... Il est vrai que Grand-mère Eizheimer qu'on a foutu depuis dix ans dans un mouroir du Limousin, cela devait lui faire sacrément plaisir de savoir qu'on pensait à elle en se trempant le cul dans de l'eau tiédie à la pisse du côté de Biscarosse... De quoi remplacer aisément les 10 visites qu'on a reporté jusque là...

André était tellement accablé qu'il s'était surpris à presque envier le pauvre hollandais qu'ils avaient croisé à l'aller, encastré avec sa voiture dans un pilier d'un tunnel de l'autoroute...

Bien sûr, il aurait pu être autre chose qu'un faible, il avait même essayé jadis mais cela s'était avéré encore plus pénible et fatiguant. Il avait donc préféré opter pour la normalité et était maintenant un mari « ouvert » et « attentif aux besoins de sa compagne ». Il avait même frôlé le sans-faute dans le dernier test de Femme Actuelle, « Etes-vous le mari idéal ?», se loupant uniquement sur la question « Est-ce parce que mon épouse ne suce pas que je ne dois pas la lécher ? » où son égoïsme primaire avait lamentablement repris le dessus.

Les minutes paraissaient des heures. Des gouttes de sueur ruisselaient en tous sens, tout le monde se répandait lamentablement. André eut alors une idée qu'il pensait géniale : il fallait partir sans attendre, immédiatement même, car nous étions la veille du 15 août et il était donc impérieux de se précipiter au supermarché pour faire des achats sous peine d'être privés de merguez et de rosé par le jour férié approchant ! Faire les courses, voilà une distraction qui emplissait désormais André de joie et d'espérance ! Se balader dans les rayons à la recherche des offres promotionnelles, entrechoquer les caddies avec d'autres prédateurs avides de pâte à tartiner chocolatée moitié prix et de papier toilettes triple épaisseur à tarif exceptionnel, contempler l'élégance – slip de bain, débardeur et tongs - du français en congés, profiter de la fraîcheur du rayon des produits congelés ... voilà ce qu'il voulait, ce à quoi il aspirait ! Tout plutôt que cette plage de merde et ce soleil à la con. Mais Marie, d'une phrase, doucha tous ses espoirs :

  • « Mais voyons, pas de stress... Cela fait longtemps que tout le monde travaille et que tout est ouvert le 15 août... On n'est plus au Moyen-Age ! ».

A cet instant, et pour la première fois de leur mariage, André ressentit une puissante envie de battre sa femme, de la frapper sauvagement, de la cogner jusqu'au sang, de lui arracher les yeux puis de l'étrangler. Bien sûr il n'en fît rien. Il ne fallait pas gâcher les vacances.

 

Xavier Eman (In revue Eléments, numéro 168)